Contrôle de constitutionnalité
01 January 0001 Monday
COMMUNIQUÉ DE PRESSE
No ND 5/21
Annulation de certaines dispositions du décret présidentiel sur l’organisation de la Direction de la Communication
Le 30 décembre 2020, dans le dossier no E.2019/71, la Cour Constitutionnelle a déclaré que les expressions « (...) activités (...) » et « (...) organisation et gestion des ressources humaines (...) » qui sont contenues dans la première phrase de l’article 14 modifié du décret présidentiel no 14 relative à la Direction de la Communication, ainsi que la deuxième et la troisième phrase de cette même disposition sont inconstitutionnelles eu égard à leur contenu et décide donc de les annuler. |
A. Sur l’examen de l’article 14 modifié du décret présidentiel no 14
La disposition contestée
La disposition contestée prévoit que la Direction de la Communication (« İletişim Başkanlığı » - ci-après, « la Direction ») est habilitée à superviser les activités, le budget, l’organisation et la gestion des ressources humaines de la Société Anonyme Turque Agence Anadolu (« Anadolu Ajansı Türk Anonim Şirketi » - ci-après, « l’Agence Anadolu » ou « l’Agence ») ; et que, les principes et procédures de ladite supervision sont déterminés par la Direction ; et qu’enfin, le contrat conclu entre la Direction et l’Agence Anadolu définit la procédure de nomination des cadres dirigeants de l’Agence.
Le fondement du recours en annulation
Dans le recours formé, il est principalement allégué que la disposition contestée est inconstitutionnelle dans la mesure où il existe déjà des dispositions légales concernant la supervision de l’Agence Anadolu, qui est une société privée, et que le pouvoir de contrôle conféré à la Direction en vertu de la disposition contestée n’est pas compatible avec le caractère autonome et impartial de ladite Agence.
L’appréciation de la Cour
1. Sur la compétence ratione materiae
En premier lieu, la disposition contestée régit les relations entre l’Agence et l’État. En effet, elle désigne l’unité relevant du pouvoir exécutif, qui est habilitée à conclure un contrat avec l’Agence, et, en outre, détermine les effets et les conséquences d’une telle habilitation.
Par ailleurs, la disposition contestée réglemente également une question relative au pouvoir exécutif. Comme le prévoit l’article 104 § 17 de la Constitution, aucun décret présidentiel ne peut être pris sur les questions qui, selon la Constitution, doivent être exclusivement régies par la loi. Toutefois, concernant les questions pour lesquelles la Constitution prévoit spécifiquement leur réglementation par voie de décret présidentiel, dans la mesure où celles-ci portent sur des matières qui sont expressément prévues par les dispositions de la Constitution, celles-ci peuvent faire l’objet d’une réglementation par voie de décret présidentiel.
À cet égard, les questions visées à l’article 123 de la Constitution peuvent être réglementées par un décret présidentiel, à condition d’être limitées aux questions dont la Constitution prévoit spécifiquement leur réglementation par voie de décret présidentiel.
D’autre part, l’article 106 de la Constitution dispose en particulier que la création, la suppression, les fonctions, les pouvoirs et la structure organisationnelle des ministères ainsi que la création de services centraux et provinciaux des ministères sont des questions qui peuvent être réglementées par voie de décret présidentiel. Cet article ne contient, toutefois, aucune disposition spécifique concernant l’organisation centrale de la Présidence de la République de Turquie (« la Présidence ») ou les institutions et organisations qui lui sont affiliées.
Par ailleurs, l’intention du législateur dans la loi n° 6771 portant amendement de la Constitution indique que l’objectif de l’attribution au Président de la République (« le Président ») du pouvoir d’émettre des décrets présidentiels de première main est de lui assurer, dans le nouveau système gouvernemental, de prendre des dispositions concernant les questions qu’il juge nécessaires pour la conduite des affaires politiques générales.
Dans un tel contexte, il est évident que le Président, qui est habilité à réglementer par voie de décret présidentiel les questions concernant la création, la suppression, les fonctions, les pouvoirs et la structure organisationnelle des ministères, est également habilité à réglementer par voie de décret présidentiel les questions similaires s’agissant de l’organisation centrale de la Présidence ainsi que des institutions et organisations qui lui sont affiliées.
Les agences de presse publiques, y compris l’Agence Anadolu, sont régies par l’article 133 § 3 de la Constitution, qui ne contient aucune disposition disposant que les questions relatives à ces agences doivent être régies exclusivement par la loi. Par conséquent, il n’est en aucun cas inconstitutionnel de désigner l’unité relevant du pouvoir exécutif, qui sera habilitée à conclure des contrats avec l’Agence, et de réglementer les effets et les conséquences de cette habilitation par un décret présidentiel.
Depuis 1925, l’Agence Anadolu, personne morale de droit privé établie sous forme de société anonyme, ne reçoit pas directement une part du budget de l’État, en raison de sa structure. Toutefois, comme le précise l’article 133 § 3 de la Constitution, il s’agit d’une agence de presse bénéficiant de l’aide de personnes morales publiques. Dès lors, les paiements à effectuer en faveur de l’Agence sont affectés au budget de l’administration centrale en tant qu’allocation au titre du budget institutionnel lié à l’Agence. Par conséquent, la disposition contestée, sous cet aspect, ne relève pas du champ d’application de l’article 161 de la Constitution et, en l’occurrence, elle ne porte pas sur des questions qui doivent être réglementées exclusivement par la loi.
En outre, la loi n° 57 sur les biens et le personnel de l’Agence Anadolu dispose que les biens appartenant à l’Agence sont considérés comme des biens publics et que, dans les cas où la loi pénale s’applique, son personnel est considéré comme un agent public. Cette même loi prévoit aussi certaines dispositions concernant l’acquisition, le nantissement et l’offre publique des actions de l’Agence, ainsi que le droit d’usufruit de ces actions. Il en ressort clairement que la matière, qui est réglementée par la disposition contestée, n’est pas une matière qui est déjà prévue ni par la loi n° 57 précitée ni par aucune autre législation. La Cour en arrive donc à la conclusion que la disposition contestée ne porte pas non plus sur une question qui est explicitement réglementée par la loi.
Au vu de ce qui précède, eu égard à la disposition contestée, la Cour constitutionnelle ne relève aucune incompatibilité ratione materiae avec les dispositions de la Constitution.
2. Sur le contenu
a. En ce qui concerne la première phrase de la disposition contestée
Dans la première phrase de la disposition contestée, il est prévu, d’une part, que la Direction est habilitée à conclure un contrat avec l’Agence Anadolu pour une période maximale de 5 ans, à condition de ne pas dépasser les fonds, qui sont versés, chaque année, au budget propre de la Direction et alloués à l’Agence ; et, d’autre part, qu’elle a le pouvoir de superviser les activités, le budget, l’organisation et la gestion des ressources humaines de l’Agence.
Il est observé que l’objectif principal de l’exclusion de l’Agence de l’administration centrale en 1925 et de sa transformation en une personne morale de droit privé sous la forme de société anonyme, est de garantir son autonomie et son impartialité telles que garanties par l’article 133 de la Constitution. Les parts détenues par le Trésor public dans l’Agence n’ont jamais été supérieures à 50 %, afin de préserver la nature autonome de l’Agence.
Bien qu’il s’agisse d’une personne morale de droit privé, la grande partie des recettes de l’Agence est principalement constituée par les fonds d’Agence inscrits au budget propre de la Direction. Or, en vertu de la disposition contestée, le budget est l’une des questions pour lesquelles la Direction a un pouvoir de contrôle sur l’Agence.
Compte tenu des sources de revenus de l’Agence, il apparaît que le contrôle budgétaire de l’Agence par l’administration centrale a pour but de servir l’intérêt général. Ce contrôle budgétaire par l’administration centrale n’a, en aucun cas, un impact négatif sur le pouvoir de l’Agence de prendre des décisions concernant ses propres actes et activités et de les mettre en œuvre, c’est-à-dire sur son autonomie et son impartialité. Dès lors, le contrôle du budget de l’Agence par la Direction ne méconnaît pas l’article 133 § 3 de la Constitution.
Comme le prévoit la première phrase de la disposition contestée, le contrôle de l’administration centrale ne se limite pas au seul budget de l’Agence, mais porte sur ses activités, son organisation et la gestion de ses ressources humaines. L’objectif principal de l’Agence, en tant qu’entreprise, est de transmettre aux abonnés aux journaux et autres publications les informations et les renseignements collectés sur les nouvelles, les photos, les images et les contenus multimédias concernant les incidents survenus dans le pays ou à l’étranger, en adoptant une approche juste, rapide, impartiale et actuelle. En ce sens, la supervision des actes et des activités de l’Agence par la Direction, une unité de l’exécutif opérant sous la Présidence, est à la fois incompatible avec la nature autonome de l’Agence et susceptible de porter atteinte à la neutralité de ses publications.
D’autre part, l’habilitation de la Direction à contrôler l’organisation et la gestion des ressources humaines de l’Agence est contraire au principe d’autonomie des agences de presse bénéficiant de l’aide des personnes morales publiques, car une telle habilitation empêche l’Agence de prendre librement des décisions concernant ses propres actes et activités et de les mettre en œuvre.
Au vu de ce qui précède, la Cour constitutionnelle déclare que les expressions « (...) activités (...) » et « (...) organisation et gestion des ressources humaines (...) » qui sont contenues dans la première phrase de la disposition contestée sont inconstitutionnelles eu égard à leur contenu et décide donc de les annuler ; par ailleurs, la Cour déclare que le restant de la première phrase de la disposition contestée n’est pas contraire à la Constitution et, par conséquent, rejette le recours en annulation.
b. En ce qui concerne la deuxième phrase de la disposition contestée
Le pouvoir primaire attribué par le Constituant aux décrets présidentiels ne peut pas être délégué à un autre acte administratif. Toute pratique contraire emporterait la violation de la garantie de réglementer une matière donnée par voie de décret présidentiel.
Ainsi, le Président n’est pas habilité à céder à une autre autorité son pouvoir de réglementer par voie de décret présidentiel. Cependant, l’organe exécutif n’est tenu ni de réglementer une matière, dans ses moindres détails, par voie de décret présidentiel, ni de prendre toutes les mesures nécessaires requises par ces réglementations. Après avoir précisé les règles fondamentales et fixé le cadre général de la matière concernée par décret présidentiel, l’organe exécutif peut ensuite déterminer les points qui rentreront dans ce cadre par d’autres actes réglementaires et laisser à l’administration concernée les moyens de la mise en œuvre des mesures nécessaires.
Compte tenu que les principes de base et le cadre général de la supervision de l’Agence Anadolu n’ont pas été proprement établis par le décret présidentiel no 14, la deuxième phrase de la disposition contestée du décret présidentiel en cause qui, de ce fait, habilite la Direction à réglementer une question dont les limites sont incertaines, a donc pour conséquence de déléguer le pouvoir de réglementation, qui est conféré par la Constitution au Président, à l’administration.
Au vu de ce qui précède, la Cour constitutionnelle déclare que, de par son contenu, la deuxième phrase de la disposition contestée est contraire à la Constitution, et décide donc de l’annuler.
c. En ce qui concerne la troisième phrase de la disposition contestée
La troisième phrase de la disposition contestée prévoit que la procédure de nomination des cadres dirigeants de l’Agence est définie dans le contrat conclu entre la Direction et l’Agence.
Bien que la liberté contractuelle comprenne également la liberté de conclure ou non un contrat et de choisir l’autre partie contractante, il apparaît que la Direction se trouve dans une position plus avantageuse vis-à-vis de l’Agence en raison du contrat conclu entre eux. Il en ressort donc que le contrat en cause ne satisfait pas aux exigences nécessaires inhérentes à la liberté contractuelle.
Le caractère autonome des agences de presse, consacré par l’article 133 de la Constitution, garantit que l’Agence est investie des pouvoirs nécessaires pour prendre et mettre en œuvre les décisions concernant sa gestion et son organisation et qu’elle est protégée contre toute influence extérieure. À cet égard, la définition des modalités de nomination des cadres dirigeants de l’Agence par un contrat renouvelé chaque année vide de son sens le caractère autonome de l’Agence dont celle-ci dispose en vertu de ladite disposition constitutionnelle.
Au vu de ce qui précède, la Cour constitutionnelle déclare que, de par son contenu, la troisième phrase de la disposition contestée est contraire à la Constitution, et décide donc de l’annuler.
Préparé par le Secrétariat Général, le présent communiqué de presse vise à informer le public et ne lie pas la Cour constitutionnelle. |