Contrôle de constitutionnalité
01 January 0001 Monday
COMMUNIQUÉ DE PRESSE
No ND 10/20
Annulation de la disposition du décret-loi ne se fondant pas sur la loi d’habilitation et prévoyant des mesures en matière de droits fondamentaux
Le 19 février 2020, dans le dossier no E.2018/122, la Cour constitutionnelle a déclaré la non-conformité à l’article 91 abrogé de la Constitution et annulé l’expression « (...) plus de 6 mois (...) » figurant à l’article 7 § 1 c) du décret-loi n° 399 portant sur la réglementation du régime du personnel des entreprises économiques d’État et l’annulation de certains articles du décret-loi n° 233. |
La disposition contestée
La disposition contestée prévoit le fait de ne pas avoir été condamné à une peine d’emprisonnement supérieure à six mois parmi les conditions de recrutement du personnel contractuel dans la fonction publique.
Le fondement du recours en annulation
Dans le recours formé, il est principalement allégué que d’après la loi sur les fonctionnaires de l’État, pour pouvoir être recruté en qualité de fonctionnaire, il est tenu de ne pas avoir été condamné à une peine d’emprisonnement d’une durée d’un an, voire plus. En revanche, d’après la disposition contestée, le recrutement du personnel contractuel régi par décret-loi est placé sous la condition de ne pas avoir été condamné à une peine d’emprisonnement supérieure à six mois. Aussi, il est invoqué que cette situation entraîne une entrave au principe d’égalité et que, par conséquent, la disposition contestée est contraire à la Constitution.
L’appréciation de la Cour
Dans le cadre du contrôle de la conformité à la Constitution de la disposition contestée, la Cour constitutionnelle a, en premier lieu, discuté des questions de savoir si l’article 91 abrogé de la Constitution régissant le régime juridique des décrets-lois doit être considéré comme norme de base ou pas, si à la suite d’un arrêt de rejet rendu à l’issue d’un contrôle exercé par la Cour en application de l’article invoqué, une même disposition peut à nouveau faire l’objet d’un examen sur le fondement de l’article en question de la Constitution ou pas, et si l’interdiction de recours pendant une période de dix ans prévu par la Constitution est valable ou non aux contrôles exercés sur le fondement de l’article 91 abrogé.
La Grande Assemblée Nationale de Turquie a abrogé l’article 91 de la Constitution habilitant le Conseil des ministres sous l’ancien régime gouvernemental à prendre des décrets-lois et régissant le régime juridique de ces décrets, par l’article 16 entré en vigueur le 9 juillet 2018 de la loi no 6771 portant modification de la Constitution de la République de Turquie, de sorte qu’il a été mis un terme, par la Constitution elle-même, à la possibilité de prendre des décrets-lois.
En revanche, l’article 21 provisoire rajouté à la Constitution par la loi no 6771 prévoit que les décrets-lois pris avant la date d’abrogation de l’article 91 de la Constitution et qui sont déjà en vigueur, continueront à être considérés comme étant valables. Tout en prévoyant la continuation de l’exercice du pouvoir de contrôle des décrets-lois, l’article 21 provisoire en question ne contient pas de dispositions sur la question de savoir si dans le cadre de ce contrôle, les normes abrogées doivent être considérées comme normes de base ou pas. En l’occurrence, cette question doit être déterminée par la Cour selon les règles d’interprétation des normes et la nature des normes abrogées doit être également prise en compte dans ce cadre.
Dans le cadre de la procédure constitutionnelle, à l’occasion du contrôle de la conformité d’une disposition à la Constitution quant à son contenu, ce sont les normes en vigueur à la date de l’exercice effectif du contrôle qui doivent être prises en considération, en vertu du principe de la suprématie et de l’effet obligatoire de la Constitution, comme normes de base. En outre, étant donné qu’une norme, faisant l’objet d’un contrôle de constitutionnalité, est créée en tenant compte des règles d’habilitation valables au moment de son élaboration, le contrôle de cet élément doit ainsi se faire en se fondant sur les normes – même si elles sont abrogées - qui existent à la date de leur élaboration. En effet, la source du pouvoir constitutionnel des décrets-lois au moment de leur adoption dont la validité perdure, et qui, s’agissant de leur habilitation, font l’objet d’un contrôle de constitutionnalité, se trouve dans l’article 91 de la Constitution, même s’il a été abrogé.
Partant, un contrôle de la conformité des décrets-lois en question et donc de la disposition contestée à l’article 91 abrogé de la Constitution doit être exercé en l’espèce.
La non-conformité de la disposition contestée à l’article 91 abrogé de la Constitution a déjà été précédemment soulevée à l’occasion d’un recours en annulation. A l’issue de l’examen du recours en question, la Cour constitutionnelle a relevé que la disposition en question s’appuie sur une loi d’habilitation, qu’elle se trouve dans la portée de cette loi, et qu’elle ne régit pas de domaines interdits. Par conséquent, la Cour a déclaré qu’elle n’est pas contraire à l’article 91 abrogé de la Constitution. Dans la même affaire, elle a examiné la disposition contestée quant à son contenu, et a déclaré, à cet égard, qu’elle n’est pas non plus contraire à la Constitution (CC, E.1990/12, K.1991/7, arrêt du 4 avril 1991).
Il est clair que le contrôle de la conformité des décrets-lois à l’article 91 abrogé de la Constitution ne peut se limiter qu’à une seule fois. En effet, une telle limitation reviendrait à reconnaître aux décrets-lois une immunité totale face à la disposition en question de la Constitution, après leur premier examen. Toutefois, une telle acceptation est contraire aux buts principaux de la justice constitutionnelle qui consistent avant tout dans l’exercice d’un contrôle de la conformité des normes à la Constitution et dans le tri du système juridique de l’ensemble des normes contraires à la Constitution.
A cet égard, le fait que la disposition contestée a déjà fait l’objet d’un contrôle de conformité à l’article 91 abrogé de la Constitution n’empêche pas un nouvel examen de cette disposition sous l’angle de même article.
L’article 152 de la Constitution dispose que dès lors que la Cour constitutionnelle, après un examen sur le fond, rend un arrêt de rejet d’une affaire tendant à l’annulation d’une disposition légale pour non-conformité à la Constitution, il n’est pas possible d’introduire un recours en inconstitutionnalité de cette même disposition, avant l’écoulement d’un délai de dix ans suivant la publication de l’arrêt de rejet en question au Journal officiel. Par cette disposition constitutionnelle, le Constituant impose l’interdiction, pendant dix ans, d’exercer le contrôle de la conformité d’une même disposition légale à la Constitution. Le but d’une telle interdiction repose sur le fait de vouloir garantir la continuité des arrêts rendus par la Cour constitutionnelle.
A cet égard, l’interdiction de contrôle pendant un délai de dix ans est également valable pour les contrôles qui reposent sur l’article 91 abrogé de la Constitution, car il en va de la continuité juridique. Le fait de savoir sur quel article de la Constitution se fonde un contrôle de constitutionnalité n’a aucune importance au regard de l’application de l’interdiction en cause dont le but est de garantir la continuité juridique. Par ailleurs, il n’existe aucune raison de traiter distinctement l’article 91 abrogé de la Constitution des aux autres dispositions constitutionnelles, s’agissant de l’interdiction de contrôle susmentionnée. Partant, dès lors que la Cour constitutionnelle, après un examen sur le fond, rend un arrêt de rejet d’une affaire tendant à l’annulation d’une disposition d’un décret-loi pour non-conformité à l’article 91 abrogé de la Constitution, il n’est pas possible d’introduire un tel recours à l’égard de la même disposition, avant l’écoulement d’un délai de dix ans suivant la publication de l’arrêt de rejet en question au Journal officiel.
Dans la présente affaire, on relève qu’un arrêt de rejet de la disposition contestée a été publié le 13 août 1991 au Journal officiel et qu’un délai de plus de dix ans s’est écoulé depuis la date de publication de cet arrêt. Par conséquent, il n’existe aucune entrave à l’examen de la disposition contestée au regard de l’article 91 abrogé de la Constitution.
La loi d’habilitation sur laquelle se fonde le décret-loi no 399 a été annulée par l’arrêt no K.1990/2 de la Cour constitutionnelle, lequel a été publié dans le Journal officiel en date du 21 avril 1990. Etant donné que la loi no 3479 sur laquelle se fonde le décret-loi qui comporte lui-même la disposition contestée a été abrogée, le décret-loi en question a donc perdu une condition préalable de validité, qui est celle de se fonder sur une loi d’habilitation.
En outre, sous réserves des dispositions du paragraphe 1 de l’article 91 abrogé de la Constitution qui régissent le régime de la loi martiale et de l’état d'urgence, les droits fondamentaux, les droits et obligations des personnes prévus dans les première et deuxième parties du titre 2 de la Constitution ainsi que les droits et obligations politiques prévus dans la quatrième partie du titre 2 de la Constitution ne peuvent être règlementés par des décrets-lois.
Dès lors, il n’est pas possible de règlementer par décret-loi le droit d’entrée dans la fonction publique, prévu dans la quatrième partie du titre 2 de la Constitution intitulé « Droits et Obligations Politiques » et garanti par l’article 70 de la Constitution. Etant donné que la disposition contestée concerne les conditions à remplir pour le recrutement du personnel contractuel régi sous le décret-loi no 399, qui représente l’une des formes de recrutement des fonctionnaires pour assurer des services publics, elle a donc le caractère d’une réglementation relative à l’application du droit d’entrée dans la fonction publique. Partant, la disposition contestée reste dans le champ du domaine interdit à la réglementation par décret-loi conformément à l’article 91 abrogé de la Constitution.
Au vu de ce qui précède, la Cour constitutionnelle déclare que la disposition contestée est contraire à l’article 91 abrogé de la Constitution et décide, par conséquent, de l’annuler.
Préparé par le Secrétariat Général, le présent communiqué de presse vise à informer le public et ne lie pas la Cour constitutionnelle. |