01 January 0001 Monday

COMMUNIQUÉ DE PRESSE

No BB 42/18

 

Communiqué de presse concernant l’arrêt de violation de la liberté de religion suite à la révocation de la fonction publique d’une fonctionnaire en raison du port du foulard islamique

Par un arrêt rendu le 18 juillet 2018, dans l’affaire B.S. (no 2015/8491), la deuxième Section de la Cour constitutionnelle a conclu à la violation de la liberté de religion garantie par l’article 24 de la Constitution.

 

En fait

La requérante, employée comme agent public au sein d’une institution publique (« l’administration »), fut l’objet de sanctions disciplinaires et d’appréciations négatives dans le registre du personnel au motif qu’elle portait le foulard islamique (« le foulard ») au cours de l’exercice de ses fonctions. Ayant persisté à ne pas l’enlever, elle fut révoquée de la fonction publique.  

Le tribunal administratif décida d’annuler la décision de révocation pour le fait qu’elle n’avait pas été préalablement entendue par l’administration. Cette dernière forma un pourvoi en cassation devant le Conseil d'État contre le jugement du tribunal administratif. Le Conseil d'État admit le pourvoi formé par l’administration et rendit un arrêt en sa faveur. Par la suite, le tribunal administratif rejeta le recours initialement formé par la requérante, en conformité avec l’arrêt du Conseil d’État. Le pourvoi en cassation contre ce dernier jugement et le recours en rectification d’arrêt formés par la requérante furent rejetés.

Alors que la procédure judiciaire à la suite du jugement d’annulation du tribunal administratif se poursuivait, les lacunes procédurales indiquées dans le jugement d’annulation en question furent, entre temps, comblées et la requérante fut, de nouveau, révoquée de la fonction publique. Le recours intenté contre cette nouvelle décision de révocation fut rejetée par le tribunal administratif.

Par un arrêt rendu sur pourvoi en cassation, le Conseil d’État confirma le jugement en question du tribunal administratif. La Loi no 5525 relative à l’amnistie de certaines sanctions disciplinaires infligées aux fonctionnaires et personnel du service public, à laquelle le Conseil d’État s’y était référée dans son arrêt, entra en vigueur lors de l’examen du recours en rectification d’arrêt de la requérante.

Indépendamment de ces procédures, la requérante déposa une demande auprès de l’administration, conformément à la Loi no 5525, en vue d’être renommée à son ancien poste, cependant sa demande fut rejetée au motif qu’il n’était « pas possible de recruter directement une personne ».

Le Conseil d'État rejeta le recours formé par la requérante contre le refus de l'administration et la circulaire relative à « l’amnistie des sanctions disciplinaires » sur laquelle se fondait le refus. Suite au rejet de son pourvoi en cassation et de sa demande en rectification d’arrêt, la requérante saisit la Cour constitutionnelle d’un recours individuel.

Après avoir saisi la Cour constitutionnelle d’un recours individuel, la requérante déposa une pétition indiquant qu’elle avait été employée dans une autre institution publique en bénéficiant des dispositions de la Loi no 5525 précitée et qu’elle avait pris sa retraite.

Allégations de la requérante

Devant la Cour constitutionnelle, la requérante allégua que sa révocation de la fonction publique au motif qu’elle portait le foulard suivant ses convictions religieuses, enfreignait son droit à la liberté de religion.

Appréciation de la Cour constitutionnelle

La liberté de religion et de conscience, telle que définie et encadrée par l’article 24 de la Constitution, garantit aux personnes « la liberté de manifester leur religion ou leur conviction », « la liberté de changer de religion ou de conviction », « la liberté d’adopter la religion ou la conviction de leur choix » ou « la liberté de n’avoir aucune religion ou conviction ».

Le droit protégé par l’article 24 de la Constitution est un droit inaliénable dans la mesure où il constitue un élément crucial pour l’instauration et le maintien d’une démocratie efficace et solide fondée sur le principe de l’État de droit.

Les personnes possédant différentes convictions religieuses ou n’en ayant aucune, sont toutes placées sous la protection de l’État laïc. En effet, conformément à la définition de la laïcité aux termes de l’exposé des motifs de l’article 2 de la Constitution ; la laïcité, qui ne signifie en aucun cas l’irreligiosité, assure à toute personne la possibilité d’adhérer à la croyance ou à la communauté religieuse de son choix, de la pratiquer librement et de ne pas faire l’objet de discrimination en raison de ses convictions religieuses. L’État est contraint de prendre les mesures nécessaires pour un environnement favorable à la liberté de religion et de conscience.

En ce sens, le principe de laïcité impose à l’État des obligations positives et négatives. L’obligation négative consiste à ne pas intervenir dans la liberté de religion sauf pour des motifs impérieux. Dans le cadre des obligations positives, l’État est amené à éliminer tous les obstacles présents devant l’exercice de la liberté de religion, à assurer l’environnement et les moyens nécessaires pour les personnes souhaitant vivre suivant leurs croyances ou convictions.

Les arguments selon lesquels l’autorisation accordée à un fonctionnaire de porter le foulard en vertu de ses convictions religieuses serait catégoriquement contraire au principe de laïcité - sans prendre en considération les circonstances intrinsèques à sa fonction – sont inacceptables. Considérer que le port du foulard, qui est un moyen de manifester sa religion et un reflet de la diversité sociale, par un fonctionnaire constitue une menace pour l’unité sociale est en contradiction avec les approches de la démocratie et de la laïcité plurielle.

Dans le cas d’espèce, la requérante fut sanctionnée par une décision de révocation de la fonction publique au motif qu’elle portait le foulard suivant ses convictions religieuses. Cette sanction constitue donc une ingérence à son droit de manifester sa religion.

L’appréciation des faits de l’espèce portera principalement sur la question de savoir si les motifs sur lesquels s’étaient fondées les décisions des juridictions inférieures ayant entraîné l’ingérence en cause, permettent d’expliquer de manière convaincante que dans les circonstances de l’espèce la restriction à la liberté de religion était bel et bien conforme aux exigences de l’ordre public démocratique. Toute ingérence à la liberté de religion fondée sur des motifs qui ne répondent pas aux critères dégagés par la Cour constitutionnelle constituera une atteinte à l’article 24 de la Constitution.

En l’espèce, la Cour constitutionnelle a observé que l’administration et les juridictions inférieures se sont fondées sur une présomption catégorique selon laquelle le simple fait qu’une fonctionnaire porte le foulard pourrait perturber l’ordre public. La décision de l’administration ou les jugements des juridictions inférieures n’ont pas été à même de démontrer que le port du foulard par la requérante était offensant, oppressif et/ou provocateur de manière à intervenir sur la croyance des autres ou à imposer sa propre croyance aux autres ; qu’il nuisait au bon fonctionnement institutionnel ou encore qu’il lui causât des troubles ou irrégularités. Les autorités publiques n’ont seulement pu mettre en avant le fait que la requérante avait insisté à porter son foulard ; cependant les effets défavorables potentiels de cette persistance n’avaient pas été examiné. Par conséquent, la Cour constitutionnelle n’a pas pu déterminer quel besoin social impératif avait été satisfait, dans le but du maintien de l’ordre public, par l’ingérence dans le droit de la requérante de manifester sa religion.

De plus, il n’a pas été clairement établi, en l’espèce, les raisons pour lesquelles l’administration et les juridictions inférieures ont considéré le port du foulard comme un acte nécessitant une sanction de révocation de la fonction publique alors que la sanction prévue pour cet acte dans la législation en vigueur à l’époque des faits se limitait au blâme de la personne concernée.

En outre, la sanction de révocation de la fonction publique prononcée à l’encontre de la requérante est la sanction disciplinaire la plus grave qui existe dans le système administratif. Elle ne peut donc pas être considérée comme étant proportionnée à l’objectif poursuivi, compte tenu des lourdes conséquences matérielles et morales qu’elle a eu sur la requérante.

En conclusion, la Cour constitutionnelle constate que l’ingérence litigieuse ne se fonde pas sur des motifs adéquats et suffisants permettant d’établir qu’elle répondait à un besoin social impératif et qu’elle était proportionnée aux objectifs légitimes du maintien de l’ordre public. Dès lors, l’ingérence en question n’est pas conforme aux exigences d’une société démocratique.

Au vu de ce qui précède, la Cour constitutionnelle conclut à la violation de la liberté de religion telle que protégée et garantie par l’article 24 de la Constitution.

Préparé par le Secrétariat Général, le présent communiqué de presse vise à informer le public et ne lie pas la Cour constitutionnelle.