Recours Individuel
01 January 0001 Monday
COMMUNIQUÉ DE PRESSE
14/07/2020
No BB 42/20
Irrecevabilité du grief selon lequel le droit à la liberté et à la sureté de la personne a été enfreint en raison de la détention du requérant sans prendre en compte les garanties découlant de sa profession de juge
Le 4 juin 2020, dans l’affaire Yıldırım Turan (requête no 2017/10536), l’Assemblée plénière de la Cour constitutionnelle a déclaré irrecevable le grief du requérant, selon lequel son droit à la liberté et à la sureté de la personne avait été enfreint, pour défaut manifeste de fondement. |
En fait
Au lendemain de la tentative de coup d’état du 15 Juillet [2016], le requérant, qui était magistrat en temps matériel, fut d’abord révoqué de sa fonction pour avoir des liens avec l’Organisation terroriste güleniste/Structure d’État parallèle (« FETÖ/PDY »), puis placé en détention pour appartenance à une organisation terroriste. Il fut ensuite libéré au cours de la procédure et son procès est toujours pendant devant la cour d’assises.
Griefs du requérant
Le requérant allègue que son droit à la liberté et à la sureté de la personne n’avait pas été respecté en raison de sa détention suite à une décision rendue sans aucune preuve concrète et ne tenant pas compte des garanties découlant de sa profession.
Appréciation de la Cour
En statuant sur des affaires de requêtes individuelles concernant les mesures de détention appliquées contre des officiers judiciaires à la suite de la tentative de coup d’État du 15 juillet, la Cour constitutionnelle a plusieurs fois examiné s’il existait ou non des obstacles légaux - émanant des garanties professionnelles des requérants - devant la détention des personnes concernées. En ce sens, dans le cadre des examens concernant les cas des membres de la Cour constitutionnelle, de la Cour de cassation et du Conseil d’État (« les Cours supérieurs »), la Cour a conclu qu’afin qu’une enquête puisse être initiée contre les intéressés, les conseils respectifs des Cours supérieurs concernées doivent rendre une décision en ce sens, même en cas d'infraction personnelle et à l’exception d’un crime flagrant.
La tentative de coup d’État du 15 juillet constitue en soi le point de départ de la présomption de l’existence d’un flagrant délit des membres des Cours supérieurs, qui furent arrêtés juste après cette tentative. Comme le soulignent les organes judiciaires turcs, y compris la Cour constitutionnelle, dans plusieurs arrêts fondés sur des éléments factuels ; le maître d'œuvre de la tentative de coup d’État est le FETÖ/PDY. Alors que la répression de la tentative de coup d’État se poursuivait et que les conséquences de la tentative de coup d’État continuaient à menacer la sécurité nationale et l’existence de l'État, la présomption selon laquelle la tentative de coup d’État constitue un flagrant délit concernant les personnes présumées avoir des liens organisationnels avec la structure qui l’a orchestré, n’est donc pas dépourvue de fondement.
Dans le cadre de l’évaluation de la question de savoir si les garanties professionnelles des officiers judiciaires, à l’exception des membres des Cours supérieurs, forment ou non un obstacle légal devant leurs arrestations, la Cour constitutionnelle a considéré que l’appartenance à une organisation terroriste, sur lequel se fondait la détention, est une infraction personnelle et a admis l’existence d’un crime flagrant.
Cependant, dans un arrêt non définitif, la Cour européenne des droits de l’homme (« la CEDH ») a conclu que la Convention européenne des droits de l’homme (« la Convention ») fut enfreinte à la suite de l’application d’une mesure de détention sur l’intéressé illégalement en raison du non-respect des garanties découlant du métier de magistrat. Dans ledit arrêt, la CEDH a rejeté l’argument du Gouvernement selon lequel il n’existait pas de procédure particulière pour la conduite d’une enquête et la détention du requérant en raison des infractions personnelles qu’il aurait commis, du fait qu’il n’était pas membre d’une cour supérieure. La CEDH a considéré que l’appréciation des autorités judiciaires turques quant à l’existence d’un crime flagrant concernant les officiers judiciaires détenus à la suite de la tentative de coup d’État, manquait de clarté.
Il convient de réévaluer la question à la lumière de l’interprétation de la CEDH des dispositions légales régulant les procédures à suivre lors d’une enquête/poursuite, ainsi que d'une éventuelle détention des officiers judiciaires. Dans ce cadre, les postes d’officiers judiciaires et les actes criminels pouvant susciter une détention, ainsi que la procédure à suivre selon le Droit turc doivent être exposés.
Dans ce contexte, il convient, tout d’abord, de vérifier si l’évaluation de la Cour constitutionnelle portera atteinte à la nature contraignante des arrêts de la CEDH. La Cour constitutionnelle tient compte du Droit international et notamment des conventions internationales dont la République de Turquie est signataire, ainsi que l’interprétation de ces conventions par les organes compétents lorsqu’elle apporte une signification aux dispositions de la Constitution. La Convention en est la principale.
La Cour constitutionnelle se réfère considérablement à la jurisprudence de la CEDH, notamment lors de l’examen des requêtes individuelles et prend en considération l’approche de la CEDH dans la détermination du sens et de la portée des dispositions de la Constitution qui couvrent les droits et libertés fondamentaux. En ce sens, elle s’efforce à interpréter les droits et libertés fondamentaux tout en restant aligné avec la jurisprudence de la CEDH. L’un des objectifs principaux du mécanisme de contrôle/mécanisme judiciaire instauré par la Convention est principalement de mettre en place une norme européenne dans le domaine des droits de l’homme. La prise en compte de la jurisprudence de la CEDH par la Cour constitutionnelle lors de l’interprétation des droits et libertés fondamentaux est donc indispensable à la réduction au plus bas possible les éventuelles divergences entre le Droit national et le Droit international dans le contexte des droits de l’homme.
Bien que les arrêts définitifs de la CEDH soient contraignants, l’interprétation des dispositions légales quant à la détention des officiers judiciaires relève de la compétence des autorités publiques de la République de Turquie et, en dernier ressort, de ses organes judiciaires. La CEDH est belle et bien compétente pour contrôler la conformité de l’interprétation du Droit national par les juridictions turques, aux droits et libertés garantis par la Convention. Néanmoins, elle ne peut se substituer aux juridictions nationales pour interpréter en premier rang le Droit national. Les organes judiciaires turques sont mieux placés par rapport à la CEDH lorsqu’il s’agit d’interpréter les dispositions légales du Droit turc.
En l’occurrence, il faut bien souligner que la conclusion que la CEDH selon laquelle la détention des officiers judiciaires serait contraire au Droit national suite à l'interprétation des dispositions légales du Droit turc, ne résulte pas d’une interprétation fondée sur la Convention. Elle consiste plutôt en une appréciation vis-à-vis du Droit turc. C’est la principale raison pour laquelle la Cour constitutionnelle procède au réexamen de l’objet de la cause suite aux arrêts de la CEDH. En ce sens, le fait que les organes judiciaires turques et notamment la Cour constitutionnelle, parviennent, à terme d’un examen et d’une évaluation du Droit national, à une conclusion distincte de l’interprétation de le CEDH concernant le Droit turc, ne doit pas être perçu comme une situation contradictoire au statut des arrêts de la CEDH dans le Droit turc.
A la lumière de ces considérations, la Cour constitutionnelle estime que l’(ré)examen détaillé de l’intégralité des dispositions de loi concernant la conduite d’une enquête et/ou d’une poursuite sur des officiers judiciaire, ainsi que leur détention demeure utile.
La procédure qui s’applique dans le cadre de la conduite d’une enquête ou d’une poursuite des officiers judiciaires, hormis les membres des Cours supérieures, est réglementée par la loi no 2802. Selon ladite loi, les juges et procureurs ne peuvent, par principe, faire l’objet d’une enquête pour des infractions liées à leurs fonctions ou commises lors de l’exercice de leurs fonctions, seulement suite à l’autorisation des autorités compétentes. Ils ne peuvent non plus faire l’objet d’une poursuite pour une infraction professionnelle, dans la mesure où l’autorité compétente n’a pas rendue de décision sur la même question.
Néanmoins, aucune disposition légale n’exige une autorisation ou une décision préalablement émise par une autorité distincte pour pouvoir entamer une enquête ou une poursuite contre un juge ou un procureur dans le cadre d’une infraction personnelle. Il convient de garder à l’esprit que le pouvoir législatif exige une autorisation/une décision d’une autorité précise uniquement pour la conduite d’une enquête contre les membres des Cours supérieures et des membres élus du Haut Conseil des Juges et Procureurs (« HSYK »), bien qu’il s’agisse d’une infraction personnelle, sauf crime flagrant.
La loi no 2802 ne nécessite pas l’obtention d’une autorisation/d’une décision préalablement émise par l’autorité compétente pour initier une enquête ou une poursuite concernant une infraction personnelle commise par un juge ou un procureur, pourtant – dans la mesure où il ne s’agit pas de crime flagrant – il existe une réglementation divergente en ce qui concerne les autorités d’enquête ou de poursuite. Par conséquent, le pouvoir d’enquête concernant les infractions personnelles des juges et procureurs à la date de la détention du requérant appartient au procureur général près de la cour d’assises la plus proche de la cour d’assises de la région de résidence de l’intéressé ; et à la cour d’assises qui était en charge de l’enquête en dernier ressort.
Il est donc invraisemblable d’affirmer que les dispositions qui réglementent la détermination des autorités d’enquête et de poursuite exigent l’obtention d’une autorisation ou d’une décision préalable afin d’initier une enquête ou une poursuite concernant une infraction personnelle, que ce soit à la date matérielle de la détention du requérant, ou que ce soit par la suite. Dès lors, aucune disposition légale n’interdit la conduite d’une enquête ou d’une poursuite, ainsi que l’application d’une mesure de contrôle judiciaire telle qu’une détention contre un juge ou un procureur en lien avec une infraction personnelle qu’il/elle aurait commise ; ni en exige une autorisation ou une décision préalablement rendue par l’autorité administrative compétente.
Dans ces circonstances, la détermination de la nature personnelle ou professionnelle de l’infraction d’appartenance à une organisation terroriste armée, sur laquelle se fondait la décision de détention du requérant, revêt un caractère déterminant dans l’évaluation de la légalité de cette mesure.
Comme le soulignent les dispositions de loi et les décisions judiciaires concernées, l’appartenance à une organisation terroriste sur laquelle se fonde la mesure de détention du requérant, est une infraction de nature personnelle. Ainsi, la conduite d’un enquête et l’application de la mesure de détention concernant l’infraction commise par le requérant, ne dépend pas d’une autorisation, ni d’une décision devant être émise par une autorité administrative. En conséquence, la détention du requérant, qui était juge, en raison d’une infraction de nature personnelle, à savoir l’appartenance à une organisation terroriste, n’est pas interdite par la loi.
En l’occurrence, s’agissant de la légalité de la mesure de détention, il est essentiel d’établir s’il existe ou pas une situation de crime flagrant quant à la commission du crime d’appartenance à une organisation terroriste armée par le requérant, qui était juge près d’un tribunal de première instance.
En outre, il est insoutenable d’avancer que la loi no 2802 ne prévoit aucune garantie aux juges et aux procureurs dans le cadre des infractions personnelles. En ce qui concerne, les forces de l’ordre ne sont pas capable d’appliquer une mesure de protection, du fait qu’il s’agisse d’une infraction personnelle, en l’absence d’une décision rendue par les autorités judiciaires compétentes au sujet du juge ou du procureur concerné.
Par conséquent, le grief du requérant selon lequel il aurait été détenue contrairement aux garanties découlant de son métier est mal-fondé. Ainsi, la détention du requérant ne peut pas être considérée comme étant dépourvue de fondement légal.
D’autre part, les déclarations des témoins ont été considérées comme de forts éléments de preuves soutenant la commission d’un crime par le requérant. De plus, l’existence des risques d’altération des de preuves et de fuite du requérant justifiant la décision de détention de ce dernier se fonde sur des éléments factuels. Finalement, les enquêtes menées dans le cadre des crimes de terrorisme exposent les autorités publiques à de sérieux enjeux. Il est évident, notamment, que les enquêtes concernant la tentative de coup d’État et le FETO/PYD sont plus difficiles et plus complexes par rapport aux autres enquêtes pénales, tenant compte de leur portée et de leur nature, ainsi que des spécificités du FETO/PYD. Dans ces circonstances, considérant la sévérité de la sanction prévue pour le chef d’accusation ainsi que la nature et le degré de gravité de l’acte imputé, la Cour a estimé que la mesure de détention appliquée au requérant était proportionnelle.
Au vu de ce qui précède, la Cour constitutionnelle a déclaré l’allégation selon laquelle le droit à la liberté et a la sureté de la personne a été violé en raison de l’illégalité de la détention irrecevable pour défaut manifeste de fondement.
Préparé par le Secrétariat Général, le présent communiqué de presse vise à informer le public et ne lie pas la Cour constitutionnelle. |