Recours Individuel
28 February 2022 Monday
COMMUNIQUÉ DE PRESSE
28/07/2020
No BB 46/20
Violation de l’interdiction de la torture en raison de l’emploi de violence physique en garde à vue et de l’inefficacité de l’enquête menée
Le 9 juin 2020, dans l’affaire Feride Kaya (requête no 2016/13985), la première Section de la Cour constitutionnelle a déclaré la violation du volet matériel et procédural de l’interdiction de la torture garantie à l’article 17 de la Constitution. |
En fait
La requérante déposa une plainte pénale auprès du procureur de la République pour avoir subi des actes de torture lorsqu’elle se trouvait en garde à vue dans le cadre d’une accusation pénale.
À terme des consultations médicales effectuées lors de la détention en garde à vue de la requérante, l’hôpital public nota qu’aucune « trace de violence ou de force n’avait été identifiée ». Aucune anomalie ne fut, non plus, répertoriée dans le rapport établi suite à un examen orthopédique lorsqu’elle se trouvait incarcérée dans un établissement pénitentiaire.
Suite à sa libération, la requérante s’adressa à la Fondation turque des droits de l’homme par l’intermédiaire de laquelle un rapport médical lui fut rédigé. Selon ce rapport, les traces constatées sur le corps de la requérante démontraient effectivement qu’elle avait été battue et électrocutée.
Quant au rapport établi par l’institut médico-légal, d’un point de vue médical, il n’était pas possible de déterminer à quelle date ces traces s’étaient formés et qu’il n’existait pas de preuves médicales démontrant que la requérante avait subie des actes de torture en garde à vue.
Dans un autre rapport établi par un membre de la faculté de médecine sur demande de la requérante, il fut observé que les rapports liés aux examens médicaux effectués en garde à vue ne répondaient pas aux normes médicales, qu’ils engendraient un diagnostic incomplet et qu’ils devaient par conséquence être considérés comme des formes de négligence médicale. Il fut, en outre, noté que le rapport de l’Institut médico-légal ne se fondait pas sur une évaluation exhaustive et que les traces identifiées sur le corps de la requérante lors de son examen médical étaient étroitement liées à l’assertion qu’elle avait été torturée. Les rapports ultérieurement établis par deux autres facultés de médecine affirmaient également que les rapports appartenant aux examens médico-légaux avaient conduit à des problématiques médicales en raison de leurs inconformités aux procédures concernées et que les observations sur l’état physique et mental de la requérante s’alignaient bien avec ses dépositions selon lesquelles elle avait subi des actes de torture.
En conclusion de son enquête, le procureur intenta une procédure pénale contre deux médecins pour abus de fonction en raison de l’établissement de rapports médicaux erronés concernant la requérante et contre deux agents de la gendarmerie concernant les allégations de mauvais traitements contre une personne en garde à vue.
La Cour d’assises affirma qu’il convenait de reconnaitre que la requérante avait subie des actes de mauvais traitements ; mais acquitta les agents de gendarmerie, faisant valoir que l’identité des auteurs n’avait pas pu être déterminée. Quant aux médecins accusés d’abus de fonction, elle a mis fin à la procédure pour prescription.
La Cour de cassation a confirmé en rectifiant la décision concernant les médecins accusés et a infirmé l’arrêt quant à l’acquittement des agents accusés de mauvais traitement. Suite à la réouverture de la procédure, la Cour d’assises insista sur sa décision précédente. Finalement, en conclusion d’un examen réalisé sur la demande de rectification de la décision de la Cour d’assises, l’Assemblée générale de la Chambre criminel de la Cour de cassation prononça un non-lieu.
Griefs de la requérante
La requérante se plaint de la méconnaissance de l’interdiction de la torture en indiquant qu’elle a été victime d’actes de tortures lors de sa garde à vue, que les rapports médicaux établis par les hôpitaux lors des examens médico-légaux obligatoires étaient erronés et que les auteurs d’actes n’avaient pas fait l’objet d’instruction efficace.
Appréciation de la Cour
Peu importe la gravité des incitations sous tendant l’emploie de mauvais traitements, aucun acte de torture, d’oppression ou de traitement contraire à la dignité humaine n’est acceptable même sous les conditions les plus rudes mettant en jeu le droit à la vie.
En l’espèce, la Cour observe que de plusieurs rapports médicaux furent établis dans le cadre de l’enquête conduite suite à une allégation de mauvais traitement et que nombre d’entre eux appuyaient les allégations de la requérante. Dans ces circonstances, il convient d’agréer qu’un nombre suffisant d’éléments de preuves existait pour conclure que la requérante fut assujettie à des actes de violence physique et mentale sous le contrôle et la responsabilité de l’État. Dès lors, il incombe aux autorités publiques de prouver le contraire.
Tenant compte des dépositions de la requérante ainsi que celles des témoins, des constats présents dans divers rapports médicaux, ainsi que de la décision de la Cour d’assises selon laquelle la requérante avait été victime de mauvais traitements sous garde à vue et l’arrêt infirmatif de la Cour de cassation venant appuyer celle de la Cour d’assises, la Cour est parvenue à la conclusion que la requérante fut effectivement l’objet de mauvais traitements.
Considérant notamment l’écoulement des délais de prescription pour l’enquête concernant les médecins ainsi que du classement sans suite de celle engagée contre les gendarmes sans même avoir identifié l’/les auteur(s) des actes en cause, la Cour note que les autorités publiques n’ont pas su satisfaire leur obligation de répondre aux plaintes de mauvais traitements. Elle estime que les actes de mauvais traitements avaient été perpétrés en vue d’un objectif particulier, à savoir celui d’obtenir des informations ou des aveux de la requérante, et que les agents publics avaient délibérément agi en ce sens lors de ce processus.
La Cour observe que les traitements contraires a la dignité humaine de nature à engendrer la souffrance physique ou mentale, nuisant à la capacité de perception ou de contrôle et provoquant l’humiliation chez la victime avaient été employés durant deux jours afin d’obtenir des informations de la requérante ou de la forcer à accepter les accusations portées contre elle, et ce par des actes provoquant la peur, l’angoisse et le sentiment d’abaissement dans l’intention d’entrainer de sévères maux physiques et mentales pour briser sa résistance et l’humilier.
Le but recherché par ces traitements intentionnels, leur durée et leurs conséquences sur l’état physique et mental de la requérante, telle qu’observé dans les rapports médicaux établies en conséquence, ainsi que le recours volontaire des agents publics à ces actes amènent la Cour à définir ces actes comme étant des actes de torture et à conclure en ce sens que l’obligation négative de l’État prévue à l’article 17 de la Constitution n’avait pas été respectée.
En outre, lorsqu’il s’agit notamment d’un crime grave tel que la torture, les autorités judiciaires sont tenues de conclure l’enquête dans les plus brefs délais, étant donné le niveau de gravité des actes en question et des sanctions prévues dans ce contexte, tout en gardant à l’esprit les droits des parties à la procédure.
La Cour observe que les autorités judiciaires avaient conclu l’affaire en question en 13 ans 4 mois et 20 jours après la date de la commission de l’infraction, malgré les avertissements de la requérant concernant les délais de prescription. Elle note également que la décision des autorités en question se fondait sur l’écoulement de ces délais.
La Cour estime que les autorités judiciaires n’ont pas été suffisamment sensibles sur la question de satisfaire leur obligation positive exigeant la conduite rapide des instructions dans le contexte de l’interdiction de la torture, de manière à ne pas dépasser les délais légaux ; et qu’elles ont adopté un comportement inactif, voire tolérant face aux actes illégaux de torture.
Au vu de ce qui précède, la Cour constitutionnelle conclut à la violation des volets matériel et procédural de l’interdiction de la torture garantie à l’article 17 de la Constitution.
Préparé par le Secrétariat Général, le présent communiqué de presse vise à informer le public et ne lie pas la Cour constitutionnelle. |