28 February 2022 Monday

 

COMMUNIQUÉ DE PRESSE

03/09/2020

No BB 53/20

 

Violation de l’interdiction de la torture en raison du placement de l’intéressé dans une chambre individuelle du centre de rétention pour une durée excessive

Le 2 juin 2020, dans l’affaire Y.K. (requête no 2016/14347), la deuxième Section de la Cour constitutionnelle a déclaré la violation du volet matériel et procédural de l’interdiction de la torture garantie à l’article 17 de la Constitution.

 

En fait

Le requérant, qui est ressortissant de la République du Kazakhstan, fut placé en garde à vue à Istanbul pour suspicion d’être en possession d’un faux titre d’identité. Il fut transmis dans un centre de rétention (« le centre ») conformément aux décisions d’expulsion et de placement en rétention administrative.

Le requérant déposa une plainte pénale auprès du procureur de la République (« le Procureur »), alléguant avoir subi des actes de torture et de mauvais traitement dans ledit centre. Le Procureur rendit une décision de non-lieu. Le recours du requérant contre cette décision fut examiné par le Juge de paix (« le Juge ») qui remit le dossier au Procureur en ordonnant l’élargissement de l'enquête.

Le Procureur rendit de nouveau une décision de non-lieu. Le requérant forma alors un recours, qui fut définitivement rejeté par le Tribunal.

Griefs du requérant

Le requérant allègue que l’interdiction de la torture n’a pas été respectée en raison du fait qu’il fut menotté au niveau des poignets et des chevilles, qu’il fut placé dans une cellule sans chauffage pendant dix jours durant lesquels il fut privé de contact avec le monde extérieur et que ces plaintes n’avaient pas fait l’objet d’une enquête efficace.

Appréciation de la Cour

Les centres de rétention sont des institutions assurant le logement et le contrôle des étrangers faisant l’objet d’une décision d’expulsion et qui fonctionnent avec une approche humaniste.  Ces Centres sont tenus de respecter le droit à la vie des personnes qu’ils accueillent et d’assurer un service fondé sur le renforcement social et psychologique de ces personnes.

En l’espèce, selon les déclarations de témoins, un soupçon raisonnable s’était formé quant à l’existence d’une pratique consistant à menotter les personnes placées dans les ‘pièces isolées’ conçues comme des cellules d’observation au sein des établissements pénitentiaires, et que le requérant en avait fait l’objet. Cependant aucune preuve physique n’a pu être identifiée en ce sens.

Le grief du requérant selon lequel il fut placé dans une pièce non-équipée de système de chauffage fut examiné séparément. Bien qu’aucun éléments de preuve ne venait soutenir l’allégation selon laquelle la température ambiante de la chambre était basse, des éléments de preuves bien plus concrète qu’un simple soupçon raisonnable, sous-tendaient le fait qu’il y fut tenu pour une période de dix jours.  La portée de l’enquête sur une éventuelle violation de l’interdiction de la torture en substance se limita alors à ce fait matériel constaté.

Le placement du requérant dans une pièce isolée n’avait pas été ordonné par écrit, ni verbalisé.   Aucune enquête disciplinaire ne fut engagée contre le requérant pour tentative de fuite ou association à une action en ce sens, ou pour une autre raison.  Il n’a pas été question non plus d’allégation ou de preuve démontrant que le requérant fut placé sous détention dans le cadre d’une instruction/poursuite pénale ou qu’il risquait de se léser soi-même ou léser les autres personnes qui se trouvaient dans le Centre ou encore endommager les biens du Centre.  Au contraire, toutes les déclarations de témoins affirment que le requérant semblait calme et conformiste tout au long de sa détention au Centre.  L’administration de l'établissement en question n’a donc pas été en mesure de fournir des explications quant au placement du requérant dans cette pièce isolée. 

En outre, la Cour note qu’aucun élément de preuve démontrait que le requérant fut privé de contacter les autres personnes qui se trouvaient dans le Centre, sa famille ou son représentant légal, que la pièce en question n’était pas équipée de moyens de communications tels que la radio, la télévision ou le téléphone, qu’il ne prenait ses repas que dans cette pièce et qu’il lui était permis de sortir uniquement pour prendre de l’air durant les dix jours où il été placé dans cette pièce isolée.

La Cour considère que compte tenu de la nature et de la durée de l’ingérence, celui-ci pouvait être qualifiée de torture puisqu’elle n’était pas conforme aux principes de fonctionnement des Centres et qu’elle ne répondait pas à un but légitime.

Au vu de ce qui précède, la Cour conclue à la violation du volet matériel de l’interdiction de la torture garantie à l'article 17 de la Constitution.

À la lumière de ce constat, la Cour estime que la décision de non-lieu ainsi que celui de rejeter le recours formé par le requérant contre cette décision, ne se fondaient pas sur un examen approfondi, objectif et impartial des éléments de preuves obtenus dans le cadre de l’enquête.

Au cours de l’étape préliminaire de l’instruction pénale engagée suite à la plainte du requérant selon laquelle il fut victime de torture et de mauvais traitement, le lieu de l’infraction n’a pas été établi, les enregistrements de vidéosurveillance n’ont pas été saisi ou conservé indépendamment ; et les enregistrements vidéo soumis par les officiers du Centre en question sont considérés suffisants.  Concernant l’état de santé du requérant, le procès-verbal incluait les observations du Procureur ayant entendu le requérant au lieu de se référer à un rapport médical.  Les agents publics concernés n’ont pas été identifiés afin d’être entendu.

Étant donné que les traces de blessures dues aux mauvais traitements allégués par le requérant, les enregistrements de vidéosurveillances ou les déclarations des témoins impartiaux n’avaient pas été établis dans l’immédiat, il n’était plus possible d’y accéder par la suite.  Par conséquent, la Cour ne peut considérer qu’une enquête diligente avait été conduite afin d’illuminer, notamment, l'allégation selon laquelle le requérant fut menotté au niveau des poignets et des chevilles.

Par ces motifs, la Cour conclut également à la violation du volet procédural de l’interdiction de la torture garantie à l'article 17 de la Constitution.

Préparé par le Secrétariat Général, le présent communiqué de presse vise à informer le public et ne lie pas la Cour constitutionnelle.