01 January 0001 Monday

 

COMMUNIQUÉ DE PRESSE

11/11/2020

No BB 71/20

 

Violation du droit au respect de la vie privée en raison de la résiliation du contrat de travail pour abus de confiance

Le 8 octobre 2020, dans l’affaire Ayla Demir İşat (requête n° 2018/24245), l'Assemblée plénière de la Cour constitutionnelle a constaté la violation du droit au respect de la vie privée, garanti par l'article 20 de la Constitution.

 

En Fait

Le contrat de travail de la requérante, ouvrière au sein de l'Union Centrale des Coopératives de Crédit Agricole Turques, fut résilié, sans préavis ni indemnité, par le conseil d'administration en vertu du décret-loi n° 667 à la suite de la tentative de coup d'État du 15 juillet. La requérante introduisit un recours devant le tribunal du travail compétent en vue d’être réintégrer à son poste, qui fut cependant rejeté. Son pourvoi contre la décision de licenciement a également été rejeté par le tribunal administratif régional. Elle fit ensuite appel de la décision qui a finalement été approuvée par la Cour de Cassation.

Griefs de la Requérante

La requérante allégua, devant la Cour constitutionnelle, que son droit au respect de la vie privée avait été violé suite à la résiliation de son contrat de travail par son employeur en raison d’un abus de confiance.  

Appréciation de la Cour

L’affaire a été examinée dans le cadre du droit au respect de la vie privée étant donné que l'ingérence contestée visant la vie professionnelle eu un effet sérieux atteignant un certain seuil de gravité sur la vie privée de la requérante.

En l’espèce, la résiliation du contrat de travail de la requérante avait été motivée par le soupçon selon lequel la requérante avait une liaison ou une relation avec l'Organisation terroriste güleniste/Structure d’État parallèle (« le FETÖ/PDY »), dont l’activité visant la sécurité nationale de l'État est établie, ainsi que la détérioration de la confiance découlant de ce soupçon. La Cour entend que ce soupçon se fondait sur la présence d’un compte bancaire ouvert à la banque dénommée ‘Asya Katılım Bankası A.Ş.’ (« la Banque Asya ») en 2009. Il avait été établi dans des décisions judiciaires que la Banque Asya avait obtenu des revenus par la déposition de sommes d’argent par les membres du FETÖ/PDY suite à l'appel du chef et des dirigeants de celui-ci ; qu'elle avait ainsi fourni des ressources financières pour les activités de l'organisation et qu’elle avait fonctionné comme le centre financier du de cette organisation.

Suite à l’examen des documents inclus dans le dossier judiciaire, indiquant les transactions effectuées par la requérante sur son compte bancaire à la Banque Asya depuis 2010, la Cour constitutionnelle constate que les raisons qui sous-tendaient le soupçon selon lequel elle était en relation ou en liaison avec le FETÖ/PDY n'étaient pas de nature à justifier l'abus de confiance entre l'employé et l'employeur. Les transactions effectuées par la requérante sur le compte en question avant et après l'instruction du chef du FETÖ/PDY ordonnant à ses membres la déposition d'argent sur leurs comptes à la Banque Asya, étaient similaires.

En outre, la Cour relève que les transactions réalisées ultérieurement à l'instruction n’engendraient pas toujours l’augmentation du solde de son compte bancaire, mais aussi la réduction de celui-ci. Tenant compte des parties à ces transactions et le revenu régulier de la requérante, il convient d'exposer les raisons pour lesquelles l'augmentation total du solde de la requérante a été considérée comme une activité de hors de l’ordinaire.

La Cour observe qu'en l'espèce, aucun examen n'a été effectué à cet égard et que ni l'employeur ni les juridictions inférieures n'ont satisfaites leurs obligations de fournir de motifs solides et plausibles à leurs décisions. Par conséquent, la Cour considère que l'ingérence contestée dépassait les limites du pouvoir discrétionnaire. En outre, l'argument de la requérante selon lequel l'augmentation contestée de son solde s'inscrivait dans le cadre d'activités bancaires courantes n’a pas été examiné par les juridictions inférieures. Ces questions auraient dû être clarifiées par les juridictions inférieures dans le cadre d'un procès contradictoire.

La Cour constitutionnelle constate que les décisions administratives et judiciaires, établissant que la relation de confiance entre l'employeur et l'employé avait été détériorée par la requérante, ne contiennent aucun motif plausible, adéquate et suffisant permettant de justifier que l'ingérence contestée répondait à un besoin social impérieux.

En conséquence, la Cour conclut à la violation du droit au respect de la vie privée protégé par l'article 20 de la Constitution.

En l'espèce, elle a également examiné la question de savoir si l'ingérence litigieuse avait été légitime au sens de l'article 15 de la Constitution, selon laquelle l'exercice des droits et libertés fondamentaux peut être suspendu et restreint en période d'urgence.

Les obligations relatives à l'exercice du pouvoir discrétionnaire dans les limites prévues et à la présentation de motifs plausibles sont également valables sous l'état d'urgence. La Cour considère que la mesure prise à l'égard de la requérante allait à l’encontre de ces obligations dans la mesure où elle n’est pas plausiblement fondée sur un motif sérieux, solide et objectif. La Cour conclu donc que la mesure en question était contraire aux critères énoncés à l'article 15 de la Constitution relative à la suspension et la restriction de l'exercice des droits et libertés fondamentaux durant l'état d'urgence. 

Préparé par le Secrétariat Général, le présent communiqué de presse vise à informer le public et ne lie pas la Cour constitutionnelle.