Recours Individuel
01 January 0001 Monday
COMMUNIQUÉ DE PRESSE
23/06/2020
No BB 37/20
Violation du droit d’être présent à l’audience en raison de l’utilisation du Système Informatique Audio-Visuel
Dans deux arrêts rendus séparément le 6 février 2020, respectivement dans les affaires Emrah Yayla (requête no 2017/38732) et Şehrivan Çoban (requête no 2017/22672), l’Assemblé plénière de la Cour constitutionnelle a conclu à la violation du droit d’être présent à l’audience dans le cadre du droit à un procès équitable, garanti par l’article 36 de la Constitution. |
En fait
Le requérant Emrah Yayla, fut l’objet d’une procédure disciplinaire pour avoir participé à une protestation organisée dans l’établissement pénitentiaire où il purgeait sa peine. Le Conseil de discipline le sanctionna en le privant de visiteurs et en le plaçant dans une cellule individuelle. Le requérant déposa une plainte contre cette décision auprès du juge de l’exécution (le « Juge »). Le Juge indiqua que la plainte sera examinée en audience, durant laquelle le requérant pourra soumettre sa défense en se trouvant présent dans la salle de Système Informatique Audio-Visuel (« SEGBIS »). Lors de l’audience, le requérant exprima son souhait de présenter sa défense devant la cour et non pas par l’intermédiaire du SEGBIS. Le Juge rejeta alors la plainte du requérant contre la décision du Conseil de discipline notant que la participation d’un condamné à une audience via le SEGBIS était conforme aux règles de la procédure pénale et qu’il existait des arrêts de la Cour constitutionnelle en ce sens. Le requérant contesta cette décision, faisant valoir qu’il avait été forcé à participer à l’audience par l’intermédiaire du SEGBIS, qu’il avait été privé de son droit de défense et qu’il n’avait pas pu poser des questions aux témoins. Son recours fut, cependant, rejeté par la Cour d’assises.
La requérante Şehrivan Çoban, à l’encontre de laquelle une procédure criminelle avait été initiée pour appartenance à une organisation terroriste armée, comparut à la première audience et présenta sa défense devant la Cour d’assises. Elle fut, par la suite, transférée dans un établissement pénitentiaire situé dans une autre ville pour raison de sécurité. Par ordonnance, la Cour d’assises demanda à l’établissement pénitentiaire de faire le nécessaire afin que la requérante puisse participer à la prochaine audience par le SEGBIS. Par une requête soumise à la Cour d’assises, la requérante exprima qu’elle ne souhaitait pas participer à l’audience par l’intermédiaire du SEGBIS et qu’elle préférait plaider en comparaissant physiquement devant la cour. La Cour d’assises examina cette demande lors de la dernière audience de la procédure et la rejeta au motif que l’écoute par le moyen audio-visuel des parties à la procédure était conforme à la législation. Elle conclut, finalement, à la condamnation de la requérante à une peine d’emprisonnement pour une durée de huit ans et neuf mois pour appartenance à une organisation terroriste armée. Malgré le pourvoi en cassation de la requérante, la Cour de cassation confirma l’arrêt de la Cour d’assises.
Griefs des requérants
Les requérants allèguent que le rejet de leur demande de comparaître physiquement en audience et l’incitation à la participation à l’audience par l’intermédiaire d’un système de transfert d’audio et de vidéo a enfreint leur droit d’être présent à l’audience.
Appréciation de la Cour
L’ampleur des avantages, vis-à-vis du droit à un procès équitable, du SEGBIS intégré au Système informatique du réseau national judiciaire (UYAP), qui est l’un des majeurs projets mis en place récemment dans le cadre des pratiques de droit en Turquie, ainsi que le développement de ces systèmes sont incontestables.
Le droit d’être présent à l’audience permet non seulement aux parties de jouir efficacement de leur droit de défense, mais rend aussi opérationnel les principes d’égalité des armes et de procédure contradictoire. Il convient de déterminer si l’incitation à la participation à l’audience via le SEGBIS, une pratique qui engendre à un certain niveau des restrictions sur le droit d’être physiquement présent à l’audience, est conforme aux principes de légalité, d’être justifié par des motifs valables et de proportionnalité.
Quant à l’importance de la présence physique devant un tribunal, dans les cas où la Loi no 5271 est appliquée, un juge ou un tribunal ne peut décider à la participation par l’utilisation de la méthode de communication audio-visuelle seulement s’il la considère impérative. Dans le cas d’espèce, la Cour conclut que l’ingérence dans le droit d’être présent à l’audience est en conformité avec le principe de légalité.
Le principe de proportionnalité se constitue de trois sous-principes, à savoir la pertinence, la nécessité et la proportionnalité au sens étroit. La pertinence nécessite que l’ingérence réponde au but recherché ; la proportionnalité nécessite qu’un équilibre raisonnable soit maintenu entre l’ingérence dans le droit de la personne et le but recherché. Quant au principe de la nécessité, elle signifie la sélection du moyen le moins restrictif parmi ceux qui engendrent une ingérence dans le droit.
L’emploi du SEGBIS dans le cadre des conflits relatifs aux accusations criminelles ou aux droits et devoirs civils n’est catégoriquement pas contraire à la Constitution. Néanmoins, il incombe aux tribunaux inférieurs de justifier la nécessité de la participation par ce système qui apporte certaines restrictions au droit d’être présent à l’audience.
Dans l’affaire Emrah Yayla, la Cour observe que l’ingérence dans le droit d’être présent à l’audience poursuivait l’objectif d’assurer le jugement de la personne dans un délai raisonnable et répond, en ce sens, au principe de pertinence.
Toutefois, bien que le requérant ait demandé d’être physiquement présent à l’audience, sa demande fut catégoriquement rejetée sans justifications concrètes. En outre, ce système fut considéré comme le seul moyen compatible et aucun effort ne fut mis en œuvre pour permettre la participation physique du requérant à l’audience. Partant, la Cour constate que l’ingérence en question n’était pas nécessaire.
Quant à l’affaire Şehrivan Çoban, l’objectif de l’emploi du SEGBIS était d’éviter au mieux possible les éventuels risques de sécurité face auxquels pouvaient se trouver la requérante et des agents publics lors du transfert de la première à la salle d’audience, en raison des attentats terroristes survenant dans la région où se situait le tribunal, ainsi d’assurer la réalisation du procès dans un délai raisonnable. Par conséquent, la Cour considère que l’ingérence en question poursuivait un but légitime. Elle était, également, conforme au principe de pertinence dans la mesure où elle protégeait le droit à la vie de la requérante et des agents publics.
En l’espèce, la requérante, jugée pour des crimes sérieux telle que l’appartenance à une organisation terroriste, fut transférée dans un établissement pénitentiaire situé en dehors du ressort territorial du tribunal pour des motifs incluant la surpopulation de l’établissement pénitentiaire et ainsi que des préoccupations de sécurité. Cependant, ces motifs n’ont pas été indiqués dans les décisions concernées.
La cour de première instance rejeta la demande de la requérante en vue de participer physiquement à l’audience, pointant, de manière générale, l’existence d’une question sécuritaire, et ne fît aucun effort pour permettre la participation de la requérante à l’audience. Bien que la question sécuritaire énoncée par la cour de première instance puisse être considérée raisonnable, la possibilité, par exemple, de tenir l’audience à une date plus appropriée n’a pas fait l’objet de considération. Les circonstances particulières empêchant la participation physique de la requérante à l’audience n’ont pas été indiquées. En outre, rien ne démontre que des moyens alternatifs, comme l’ajournement de l’audience, n’auraient pas fournis de solution plus adéquate. Quant à la requérante, elle ne renonça pas non plus à son droit en question. La Cour observe que la Cour d’assises rejeta la demande de la requérante sans avoir cherché à trouver un moyen alternatif qui aurait pu permettre la participation physique de celle-ci à l‘audience, et de ce fait, ni avoir fourni d’explications vis-à-vis de l’obligation de l’utilisation du SEGBIS.
En conséquence, la Cour constate que l’ingérence n’était pas nécessaire dans la mesure où les juridictions inférieures ont failli à démontrer concrètement que le rejet de la demande de la requérante en vue de participer physiquement à l’audience sur le fond de l’affaire était indispensable.
Au vu ce qui précède, la Cour constitutionnelle a conclu, dans les deux affaires, à la violation du droit d’être présent à l’audience dans le cadre du droit à un procès équitable, garanti par l’article 36 de la Constitution.
Préparé par le Secrétariat Général, le présent communiqué de presse vise à informer le public et ne lie pas la Cour constitutionnelle. |