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COMMUNIQUÉ DE PRESSE

30/12/2020

No BB 78/20

Violation du droit à la liberté et à la sureté de la personne due à l’illégalité de la mesure de contrôle judiciaire contraignant à ne pas quitter le domicile

Le 8 novembre 2020, dans l’affaire Esra Özkan Özakça (requête no 2017/32052), la Plénière de la Cour constitutionnelle a déclaré la violation de l’article 19 de la Constitution garantissant le droit à liberté et à la sureté de la personne. 

 

En fait

Le conjoint de la requérante, qui était enseignant, fut révoqué de la fonction publique, suivant un décret-loi émis durant la période d’état d’urgence. Il entama alors une grève sur le tas, puis une grève de la faim, devant le Monument des droits de l’homme se trouvant sur l’avenue Yüksel à Ankara, en compagnie de son ami qui avait également été révoqué de la fonction publique. Une enquête fut initiée contre le conjoint de la requérante et son ami en lien avec ces grèves, pour appartenance à l’organisation terroriste DHKP/C. 

La requérante, également enseignante, fut aussi l’objet d’une révocation de la fonction publique suite à un autre décret-loi. Elle joignit, à son tour, la grève sur le tas lorsque son époux entama une grève de la faim, puis la grève de la faim lorsque celui-ci fut détenu. Une enquête fut alors initiée a l’encontre de la requérante concernant ces actes pour appartenance à l’organisation terroriste DHKP/C et pour propagande terroriste. Elle fut, par la suite, contrainte à ne pas quitter son domicile par une décision du tribunal de police. 

Une action publique fut entamée contre la requérante pour les mêmes infractions, et le tribunal a décidé d’une mesure de contrôle judiciaire de signer au commissariat de police pendant certains jours de la semaine au lieu de la mesure de ne pas quitter le domicile.  

Griefs de la requérante

La requérante allègue que son droit à la liberté et à la sécurité personnelle fut enfreint en raison de l’absence de base légale sous-tendant la mesure de contrôle judiciaire l’obligeant de ne pas quitter son domicile.

Appréciation de la Cour

La Cour constitutionnelle a, en premier lieu, examiné si la mesure de contrôle judiciaire contraignant la requérante à ne pas quitter son domicile constituait une atteinte à son droit à la liberté et à la sureté de la personne. 

D’après la Cour constitutionnelle, la nature ou la substance d’une mesure restrictive de la liberté de mouvement des personnes n’est pas déterminant dans la question de savoir si cette mesure constitue une ingérence au droit à la liberté et à la sureté de la personne, garanti par l’article 19 de la Constitution, ou au droit à la liberté de circulation, garanti par l’article 23 de la Constitution. Il convient de tenir compte du degré et de la gravité de la restriction afin de trouver une réponse à cette question. Ainsi les facteurs tels que la forme, la durée, la méthode d’application de la mesure prise ou encore la dimension du contrôle sur la vie quotidienne de l’intéressé sont essentiels à cette appréciation.

Dans le cadre de l’examen réalisé en ce sens, la Cour observe que la mesure contraignant à ne pas quitter le domicile est une mesure de contrôle judiciaire restrictive de nature à réduire l’espace dans lequel l’intéressé peut jouir de sa liberté de mouvement physique à l’intérieur des frontières de son domicile, applicable sans interruption au moyen du port d’un bracelet électronique – jusqu’à ce qu’il soit retiré – et pouvant, le cas échéant, entraîner l’application d’une mesure de détention du suspect ou de l’accusé. Tenant compte de cet aspect de la mesure en question, ainsi que de la méthode d’application de celle-ci et de ses spécificités, la Cour note que ses conséquences restrictives sur la liberté de mouvement sont beaucoup plus graves que celles sur la liberté de circulation/voyage. Par conséquent, elle conclut que la mesure porte particulièrement atteinte au droit à la liberté et à la sureté de la personne.

La Cour reconnait ensuite la nécessité d’examiner la légalité de la mesure en cause, qui fait partie des mesures de contrôle judiciaire alternatives à la mesure de détention prévues à l’article 109 du Code de procédure pénale, tenant compte des exigences telles qu’être prévue par la loi, être fondé sur une indication solide quant à la perpétration du crime, être appuyée par des raisons citées dans la Constitution pouvant justifier la restriction et respecter le critères de proportionnalité – exigences également valables pour la mesure de détention.  

En l’espèce, la Cour observe que les faits qui sous-tendent les accusations aboutissant à l’application de la mesure en question, sont des grèves sur le tas et de la faim réalisées devant le Monument des droits de l’homme. Les autorités d’enquête font valoir que ce type d’actes reposent essentiellement sur les ordres et les instructions de l’organisation terroriste DHKP/C afin de servir ses objectifs et d’en faire la propagande. Dans ce contexte, elles renvoyèrent aux activités de certaines formations présumées être liées à la DHKP/C, à la revendication de ces actes par les organes de presse de la DHKP/C, à la publication d’explications et de messages sur une revue, des chaines de diffusion en ligne et des comptes de réseaux sociaux, ainsi qu’à l’habitude de présenter des pancartes lors de certaines manifestations. En outre, elles soulignèrent que certains propos exprimés par le requérant lors de son arrestation avaient été partagés sur des comptes de réseau sociaux, considérés comme étant en lien avec ladite organisation.

Il est évident que les méthodes telles que la grève sur le tas ou la grève de la faim, pouvant être reconnues, dans des circonstances précises, comme des formes de liberté d’expression, ne peuvent pas systématiquement être considérées comme des actes criminels. Néanmoins, lorsque des éléments factuels démontrant le lien entre ces actes et les activités terroristes sont établis ou lorsque les méthodes de l’organisation terroriste consistant à l’emploi de la force, de la violence ou de la menace sont appréciées, légitimisées ou encore encouragées lors des manifestations, ce genre d’actes peuvent alors être considérées comme des actes criminels.

Cependant, le dossier d’enquête ne comporte aucun fait concret ou constat concernant l’exercice de la grève sur le tas ou de la grève de la faim par la requérante en lien avec une manifestation de l’organisation terroriste ou comme un comportement organisationnel. En outre, la Cour n’a pas pu déterminer la forme de contribution de la requérante aux publications ou explications sur lesquelles se fondaient les accusations.

La requérante affirme que la raison de sa participation à la grève sur le tas avait été sa révocation de la fonction publique et celle de son conjoint, qu’elle y avait principalement procédé afin de soutenir son conjoint, qu’elle avait choisi cette méthode comme un moyen de revendiquer ses droits et qu’elle avait finalement entamer une grève de la faim lorsque son époux avait été détenu. Dans les circonstances de l’espèce, l’évolution des faits telle qu’exprimée par la requérante lors de sa déposition et reprise par les autorités d’enquête, ne doit pas être ignorée dans le cadre de l’appréciation des actes de la requérante. Selon les constats des autorités d’enquête, la requérante avait, effectivement, rejoint la grève sur le tas lorsque son conjoint débuta une grève de la faim, puis une grève de la faim lorsque celui-ci fut détenu.

D’autre part, tenant compte du contenu des propos employés par la requérante lors de sa garde à vue, à savoir ; « J’ai été gardé à vue pour être en grève de la faim, j’ai été gardé à vue alors que je marchais dans la rue. Je ne me soumettrais pas à cela, je continuerais à résister. », il n’est pas adéquat de considérer qu’ils légitimisent ou glorifient la violence, la terreur ou le soulèvement. D’ailleurs, la contribution de la requérante au partage de ces propos sur un compte de réseau social supposé être en lien avec la DHKP/C, n’a pas été précisée dans le dossier d’enquête.

 

Compte tenu des documents en sa possession, la Cour observe que la mesure contraignant la requérante à ne pas quitter son domicile a été appliquée sans avoir établi l’existence d’indication solide quant à la perpétration du crime en question. Partant, elle conclut à la violation du droit à la liberté et à la sureté de la personne garantie sous l’article 19 de la Constitution.

Préparé par le Secrétariat Général, le présent communiqué de presse vise à informer le public et ne lie pas la Cour constitutionnelle.