Recours Individuel
01 January 0001 Monday
COMMUNIQUÉ DE PRESSE
14/10/2020
No BB 67/20
Violation du droit à la protection des données personnelles et de la liberté de correspondance en raison de la résiliation du contrat de travail d’un salarié suite à l’examen de sa boîte de messagerie électronique professionnelle
Le 17 septembre 2020, dans l’affaire E.Ü. (requête no 2016/13010), l’Assemblée plénière de la Cour constitutionnelle a déclaré la violation de l’article 20 de la Constitution garantissant le droit à la protection des données personnelles et de l’article 22 de la Constitution garantissant la liberté de correspondance. |
En fait
Le requérant, qui est avocat salarié dans un cabinet juridique, fut l’objet d’une enquête disciplinaire conduite suite aux difficultés survenues au travail. Dans le cadre de ladite enquête, l’employeur du requérant examina la correspondance électronique de celui-ci et décida, en conséquence, de résilier son contrat de travail. Le requérant introduisit, en vain, une action déclaratoire devant le tribunal du travail contre son employeur en vue d’être réintégré à son poste. La Cour de Cassation confirma le jugement du tribunal du travail.
Griefs du requérant
Le requérant allègue que son droit à la protection des données personnelles ainsi que sa liberté de correspondance furent violés en raison de l’examen du contenu de sa boîte de messagerie électronique professionnelle par son employeur et de la décision de résiliation de son contrat de travail fondée sur ce contenu.
Appréciation de la Cour
Dans ses arrêts précédents, la Cour constitutionnelle avait déterminé de manière générale les éléments à prendre en compte dans le cadre des litiges concernant la surveillance par l’employeur des outils de communication. Dans les circonstances de l’espèce, elle a constaté qu’il convenait, en vue d’apporter une solution au litige en cause, de considérer les questions telles que la méthode de détermination des dispositions restrictives et contraignantes du contrat de travail, l’information ou non des parties au contrat sur ces dispositions, l’existence d’une proportionnalité entre le but légitime sous tendant l’ingérence dans les droits fondamentaux des salariés et l’ingérence elle-même, ainsi que la question de savoir si la résiliation du contrat de travail fut une décision raisonnable et proportionnelle vis-à-vis de l’action ou de l'inaction des salariés.
Il y a lieu d’analyser le pouvoir de l’employeur de contrôler la correspondance de son employé dans le cadre des obligations positives de l'État quant aux droits à la protection des données personnelles et la liberté de correspondance, tout en tenant compte des éléments mentionnés ci-dessus. À ce titre, la présente affaire a été appréciée à la lumière des principes généraux relatifs à la supervision et le contrôle par l’employeur des comptes de messagerie électronique professionnelle.
En l’espèce, la Cour doit, en premier lieu, vérifier s’ils existent des motifs légitimes justifiant l’examen par l’employeur des outils de communications qu’il mit à disposition de ses salariés, et du contenu de leurs correspondances. En ce sens, la légitimité des motifs avancés par l’employeur doit être analysé tenant compte des activités et des spécificités de l’entreprise. Lors de cette analyse, le flux de la communication doit être distingué du contenu de celle-ci. D’ailleurs, de plus sérieux motifs doivent être recherchés pour justifier l’analyse du contenu de la correspondance.
Dans les cas où une information exhaustive et claire sur un éventuel contrôle de la correspondance réalisée par courrier électronique n’a pas eu lieux au préalable, l’employeur peut prévoir que son employé entame une correspondance personnelle à travers sa messagerie professionnelle. Les employés peuvent donc légitimement projeter qu’aucune ingérence dans leurs droits et libertés n’aura lieu dans la mesure où ils n’ont pas été explicitement informé en ce sens.
En l'occurrence, la Cour a constaté que l’employeur n’avait effectivement pas informé, de façon explicite, le requérant au sujet d’une éventuelle surveillance ou contrôle sur la correspondance réalisée à travers sa messagerie électronique professionnelle. En outre, le contrat de travail du requérant avait été résilié en raison du contenu de sa correspondance électronique. Cependant, lors de la procédure à laquelle l’employeur était défendeur, aucun élément ne démontrait qu’une information avait été fournie quant au fondement légal du traitement des données personnelles et aux objectifs suivis par ce traitement. La Cour observe que les tribunaux inférieurs n’avaient pas examiné la question de savoir si une telle information avait été fournie et qu’ils n’avaient pas examinés les allégations selon lesquelles le contenu de la messagerie électronique du requérant fut consulté sans son consentement et sans l’avoir informé au préalable.
La Cour note, en outre, que l’obligation d’accéder au contenu de la correspondance électronique du requérant n’avait pas été justifiée et que l’employeur s’était contenté de préciser dans la notification de résiliation que le but était « d’enquêter les allégations et de comprendre les liens entre les membres de l’équipe ». Toutefois, l’employeur n’a pas apporté de clarification sur les raisons pour lesquelles il s’était senti obligé d’analyser le contenu des courriers électroniques alors qu’il pouvait atteindre ces objectifs par d’autre moyens. Les faits de l’espèce n’ont pas été appréciés en ce sens par les tribunaux inférieurs.
Il convient également de d’évaluer la portée de l’ingérence de l’employeur en l’espèce. En ce sens, la Cour a constaté que l’employeur avait consulté le contenu de la correspondance en question sans avoir obtenu les consentements du chef d’équipe et du requérant, qu’il avait examiné la correspondance que le requérant eut avec des tiers en plus de celle qu’il eut avec son chef d’équipe, qu’il avait accédé à des contenus dont la pertinence avec la question n’est pas établie et qu’il s’était fondé sur ces contenus pour rendre la décision de résiliation du contrat de travail. Par conséquent, il en ressort que l’employeur ne s’était pas limité à l’analyse du flux de la correspondance électronique, qui constitue des données personnelles, mais qu’il avait accédé et utilisé, en plus, leurs contenus de manière démesurée.
Au vu de ce qui précède, la Cour considère que les tribunaux inférieurs compétents pour la résolution des litiges liés au travail dans le cadre du droit privé, ne se sont pas conformées aux obligations positives par défaut de procédure menée en toute diligence et en respectant les garanties constitutionnelles.
Par ces motifs, la Cour constitutionnelle conclut à la violation du droit à la protection des données personnelles ainsi que de la liberté de correspondance.
Préparé par le Secrétariat Général, le présent communiqué de presse vise à informer le public et ne lie pas la Cour constitutionnelle. |