Recours Individuel
01 January 0001 Monday
COMMUNIQUÉ DE PRESSE
08/09/2020
No BB 55/20
Violation du droit à un procès équitable en raison de l’interprétation imprévisible des dispositions de loi dans le cadre d’une procédure d’annulation de l’inscription au tableau de l’Ordre des Avocats
Le 23 juillet 2020, dans l’affaire M.B. (requête no 2018/37392), l’Assemblée plénière de la Cour constitutionnelle a déclaré la violation de l’article 36 de la Constitution garantissant le droit d’être jugé équitablement dans le cadre du droit à un procès équitable. |
En fait
Le requérant était procureur de la République à l’époque des faits. À la suite de la tentative de coup d’État du 15 juillet 2016, il fut révoqué de sa fonction publique par une décision du Haut Conseil des juges et procureurs (« le HSYK ») rendue conformément au décret-loi no 667. Suite à sa révocation, le requérant déposa une demande au Barreau en vue de son inscription au tableau de l’Ordre des Avocats (« l’Ordre ») en tant qu’avocat. Le Barreau ayant accepté sa demande, soumit le dossier à l’examen de l’Union des Barreaux de Turquie (« la TBB »). Le Conseil d’administration de la TBB (« le Conseil d’administration ») approuva la décision du Barreau. Cette décision fut ensuite notifiée au Ministère de la Justice (« le Ministère ») qui la considéra inappropriée et décida de la renvoyer à la TBB pour réexamen. Le Conseil d’administration insista sur sa décision précédente et inscrivit le requérant au tableau de l’Ordre. Après que la décision d’inscription du requérant au tableau de l’Ordre devint définitive, le Ministère introduisit un recours en annulation de cette décision près du tribunal administratif (« le tribunal »). Le tribunal ordonna d’abord la suspension de l’exécution de la décision d’inscription en question puis l’annulation de cette décision. L’appel formé successivement par la TBB et le requérant [contre le jugement du tribunal] fut rejeté. En outre, l’enquête pénale engagée contre le requérant fut classée sans suite.
Griefs du requérant
Le requérant allègue que son droit à un procès équitable fut enfreint du fait de l’interprétation imprévisible des dispositions de la loi dans le cadre de la procédure d’annulation de son inscription au tableau de l’Ordre des Avocats du Barreau.
Appréciation de la Cour
En l’espèce, la procédure en cause fut intentée contre l’inscription du requérant à l’Ordre. La question principale dont il convient de traiter est celle de savoir si le requérant remplissait ou non les conditions d’admission à la profession d’avocat.
Dans son jugement en annulation, le tribunal a conclu que le requérant ne remplissait pas les conditions d’admission à la profession d’avocat en se fondant sur le décret-loi no 667 (adopté ultérieurement par la loi no 6749) et que cette profession faisait partie de celles qui faisait l’objet d’une interdiction d’exercer toute fonction publique.
Il incombe en premier lieu aux juridictions inférieures de vérifier si la profession d’avocat tombe sous le champ de l’interdiction d’exercer toute fonction publique, en cas de révocation d’un agent public de la fonction publique, en vertu de la loi no 6749 précitée. Cependant, étant donné que dans les cas où l’interprétation des juridictions inférieures est manifestement imprévisible ou erronée, les garanties procédurales sont considérées comme étant dénuées de sens, il appartient à la Cour constitutionnelle d’examiner les conséquences d’une telle interprétation.
Bien que la profession d’avocat soit définie comme un service public dans l’article premier de la loi no 1136, il n’y a aucun doute que, d’un point de vue formel, la profession d’avocat exercée à titre libéral ne remplit pas un service public. En effet, les avocats inscrits au Barreau, hormis ceux qui exercent comme agents de la fonction publique dans des établissements publics, n’ont aucune obligation d’allégeance directe ou indirecte à l’État. Les avocats tiennent leurs propres cabinets. Ils ne dépendent pas des instructions de l’État dans la sélection de leurs clients, ni dans l’exécution de leurs activités, mais complètement de leurs volontés libres. Ils sont les seuls responsables des activités qu’ils mènent, jouissent seuls de tous les droits découlant de la convention qu’ils établissent avec leurs clients et répondent seuls des obligations qui en découlent. Leurs revenus se constituent des honoraires payés par leurs clients. Les tarifs des services qu’ils fournissent sont déterminés par les conventions qu’ils établissent avec leurs clients, dans les limites prévues par la loi no 1136.
En outre, la Cour constitutionnelle a déjà affirmé dans ses arrêts précédents qu’un avocat ne pouvait pas être considéré comme un fonctionnaire, bien que le métier d’avocat soit défini comme un service public dans la loi ; et que le simple fait que le législateur désigne une profession libérale comme un service public, ne fait pas de celui-ci un service public tel que défini dans l’article 70 de la Constitution.
La Cour a également considéré que la qualification de toutes sortes de profession d’avocat, qui est une activité professionnelle libérale et indépendante, comme un métier exercé dans le cadre d’une relation employeur-employé, est une interprétation incompréhensible et qui s’éloigne de l’essence même de la loi. Il est évident que la relation liée à l’emploi nécessite une certaine dépendance. Or, les motifs avancés par le tribunal ne permettent pas d’aboutir à une conclusion contraire.
D’autre part, rechercher un lien de confiance, semblable à celui d’un fonctionnaire, entre un avocat indépendant et l’État, n’est pas logique dans un ordre juridique démocratique établi par la Constitution. La démocratie, garantie par la Constitution et fondée sur le principe du pluralisme, rejette toute approche défendant l’établissement d’une relation hiérarchique entre l’État et les organisations professionnelles faisant parties de la société civile, ainsi que leurs membres.
L’interprétation au sens large des dispositions de loi restreignant les droits et libertés par les autorités publiques peuvent avoir des conséquences imprévisibles sur les individus. Ainsi, elle est non seulement contraire au principe de l’État de droit mais porte aussi atteinte au droit à un procès équitable.
Dans le système constitutionnel turc, le pouvoir de promulguer des réglementations restreignant les droits et libertés appartient au législateur. L’interprétation ou l’application élargie d’une loi restreignant un droit et/ou une liberté, risque d’engendrer la mise en place par une autorité administrative ou judiciaire de restrictions qui n’avaient pas été prévues par le législateur.
À la lumière de ce qui précède, la Cour note que le constat selon lequel le requérant ne répondait pas aux conditions d’admission au métier d’avocat, se fondait sur une interprétation élargie et imprévisible de la disposition de loi concernée. Cette interprétation rendit inefficace les garanties procédurales applicables dans le cadre du procès relatif à un droit civil du requérant et était de nature déterminante dans la prise de décision défavorable au requérant. Par conséquent, la Cour constate que les circonstances mentionnées ci-dessus ont porté atteinte à l’équité de la procédure considérée dans son ensemble.
Par ces motifs, la Cour constitutionnelle conclut à la violation du droit à un procès équitable.
Préparé par le Secrétariat Général, le présent communiqué de presse vise à informer le public et ne lie pas la Cour constitutionnelle. |